INNOVATION
- Les grandes entreprises ont développé des programmes d'intrapreneuriat pour innover et ouvrir de nouveaux marchés. Mais trop peu encore prévoient la création de start-up indépendantes, regrette Emmanuel Pascart, auteur de « Intrapreneurs, le réveil de la force dans l'entreprise ».
Comment définir l'intrapreneuriat ?
C'est une notion vaste, complexe et en développement. Il s'agit d'un processus grâce auquel le salarié fait bouger les lignes au sein de l'entreprise pour générer de la croissance durable. Les programmes d'intrapreneuriat sont encore peu nombreux en France. J'en dénombre environ 200. Ils ont souvent un caractère marketing, avec pour objectif la rétention des talents.
Un bon programme d'intrapreneuriat devrait plutôt contenir une forte dose d'innovation business, c'est-à-dire une volonté de transformer les idées en factures. Les entreprises qui réussissent, évoluent en général dans un écosystème complexe de sous-traitants. Ce sont souvent des entreprises matures de l'industrie. Je pense par exemple à Airbus ou Thales. Ces programmes développent le plus souvent des outils internes d'aide à la décision et au process, valorisable pour l'écosystème, plutôt qu'un nouveau produit ou service.
Quelles différences selon vous entre intrapreneur et entrepreneur ?
Le point commun entre intrapreneur et entrepreneur, c'est la connexion au marché, l'envie de combler un besoin, voire de créer. Tous deux sont des moteurs cruciaux de l'innovation. Mais en ce qui concerne la prise de risque et le parcours, ce n'est pas la même chose.
L'intrapreneur a misé très tôt sur la curiosité et l'exploration de manière différente. C'est en général une personne bien formée, ouverte sur l'international, qui entre dans une entreprise avec un désir de la transformer. Elle aime résoudre des problèmes. Sa motivation d'innover passe par la modification d'un schéma existant.
Evidemment, si le projet développé dans un programme d'intrapreneuriat devient un business, l'intrapreneur peut devenir entrepreneur . Un intrapreneur doit en être capable même si dans la réalité cette promesse est inconfortable. Le chemin inverse me semble plus rare. Je vois mal des entrepreneurs naviguer au sein d'une grande entreprise avec ses schémas d'organisation complexes.
L'intrapreneuriat peut-il déboucher sur la création de start-up indépendantes ?
Ces cas sont très rares malheureusement. Les entreprises envisagent peu de créer un spin-off ou un spin-out. Je pense que les programmes d'intrapreneuriat mis en place devraient plus souvent prévoir cette éventualité. Les grands groupes le font parfois lorsque le projet est trop nouveau ou éloigné de leur savoir-faire.
Cela pourrait ressembler à une sorte de start-up studio ?
Avec une grande différence quand même… Dans un start-up studio , les projets meurent rapidement s'ils ne trouvent pas leur marché. L'obligation de résultat est concrètement plus attendue.
Je parlerai plutôt d'accélérateur. Les intrapreneurs peuvent se permettre des pivots, plus de tâtonnements. Adossés à un grand groupe, ils constituent des équipes internes, avec de solides expériences. L'entreprise leur permet d'explorer des opportunités de marché. Le fait que l'équipe soit issue de ses rangs est quelque chose de rassurant.
Lorsque ce projet, parce qu'il est éloigné du coeur de métier par exemple, devient un spin-off, ces intrapreneurs, devenus entrepreneurs, peuvent même continuer à bénéficier d'un accompagnement dans la durée. Les grands groupes créent un tunnel de bienveillance qui peut aller jusqu'à une prise de participation. Mais c'est encore trop rare.
Quels sont les points de vigilance pour celles et ceux qui deviennent entrepreneurs ?
Mon conseil est que ces entrepreneurs doivent s'intégrer d'une manière ou d'une autre dans le coeur du métier de l'entreprise. Il doit y avoir des synergies, des convergences d'intérêt, en particulier avec l'écosystème. En résumé, ne pas sortir complètement du métier de l'entreprise.
Il faut aussi être vigilant au partage de la propriété intellectuelle. Notamment quand il y a des brevets à la clé. C'est de la vente interne. Il faut être aguerri à ce type de négociation.
Enfin, si l'entreprise prend une participation au capital, elle devrait rester minoritaire à mon avis pour laisser les mains libres à l'équipe fondatrice. Et laisser ouvertes toutes les possibilités : entrée au capital de fonds d'investissement, rachat de cette participation par les salariés, et même rachat par l'entreprise d'origine.